Cure thermale
L’esthéticienne faisait danser ses mains douces sur le dos charnu, autrefois plus musclé, de Luc. Cela faisait bien des années qu’il n’avait pas pris soin de lui. Au lieu de ça, il s’était laissé consumer par le divorce. Sa femme, son ex-femme – il avait tendance à l’oublier – était partie du jour au lendemain avec son professeur de yoga. Cliché ? Et pourtant, cela faisait bientôt trois ans que c’était la triste réalité. Depuis, son seul petit bonheur résidait dans les moments qu’il pouvait passer avec son fils un weekend sur deux.
Luc se laissa emporter par les effluves du baume de massage et l’extase que lui procuraient les caresses de la praticienne. À ce moment, il se promit, qu’à partir du lendemain, lorsqu’il serait de retour chez lui, il reprendrait sa vie en main. Il s’endormit, l’esprit léger, un large sourire aux lèvres.
— Monsieur Bousquet, réveillez-vous, lui susurra-t-on à l’oreille.
Il émergea dans un léger sursaut et piqua un fard, tel un gamin qui aurait été surpris en train de faire une bêtise, ce qui ne manqua pas d’amuser la jeune fille.
— Oh, désolé, mademoiselle, bafouilla-t-il. C’était tellement agréable que je me suis assoupi.
L’esthéticienne retint un petit rire dans sa main et le salua avant de le quitter. Il se leva, remit son peignoir aux manches trop longues – en raison de sa petite taille – mais tendu au niveau de son ventre, qu’il se tapota en se disant que ça aussi, il allait y remédier. Mais cela attendrait quelques heures. Pour le moment, il avait rendez-vous avec un buffet à volonté au restaurant asiatique à côté du centre de thalasso. Après tout, il avait été plus que sérieux durant les trois semaines de sa remise en forme, il avait bien le droit de se faire un petit plaisir. Il retourna donc à sa chambre pour se préparer et finir sa valise, avant son départ. Lorsqu’il sortit de la douche, il observa son reflet dans le miroir et eut du mal à reconnaître le Luc négligé qu’il était en arrivant à Vichy. Il avait déjà commencé à perdre quelques kilos et ça se voyait. Il avait également profité de ces moments de détente et de cette envie de renouveau pour couper court ses cheveux bruns, qu’il avait laissés pousser en désordre depuis sa séparation, et se faire tailler sa longue barbe touffue. Il enfila un pull-over kaki, dont il fit dépasser le col de son polo du même bleu clair que ses yeux, ainsi qu’un pantalon beige et une paire de bottillons marron. Il mit ses dernières affaires dans son grand sac de voyage, passa son anorak puis quitta, l’air enjoué, l’institut qui lui avait insufflé un nouvel élan et redonné la joie de vivre. Son meilleur ami avait eu raison de le pousser, cette cure lui avait fait le plus grand bien. Il ne tenait plus qu’à lui de poursuivre ses efforts et pourquoi pas refaire sa vie.
Luc avait choisi une place assez éloignée du buffet pour éviter de sentir la bonne odeur de toute cette nourriture qui lui faisait de l’œil. Il regardait par la vitre, la nuit était déjà tombée, rien d’étonnant pour un mois de décembre. Ce qui l’était plus, c’était cette grêle qui dégringolait depuis quelques minutes. Il balaya le parking du regard et aperçut un chien qui rôdait près de sa voiture à la recherche d’un abri quand un serveur vint débarrasser son assiette vide. Cette interruption le fit sortir de son état semi-léthargique. Lorsqu’il fut à nouveau seul, il jeta un regard à son automobile, mais la bête avait disparu. Il adorait les animaux et cela lui avait fait de la peine de la voir ainsi errer sous le déluge, toute trempée.
Il alla se servir en sushis, makis, gyozas et toutes autres sortes de spécialités asiatiques. Il ne supportait pas de voir des gens, tout du moins des adultes, manger nuggets, frites ou autres steaks dans ce type d’établissement. Il enchaîna ensuite avec un wok de légumes et du poulet au curry.
— Se faire plaisir tout en étant raisonnable, dit-il à voix basse alors qu’il posait son assiette sur la table, tout sourire. La diététicienne serait d’accord avec moi.
Il était si fier de lui. D’habitude, il se serait servi cinq ou six assiettes bien remplies, mais il était un nouveau Luc, plus motivé que jamais à changer. Après une petite coupelle de fruits en guise de dessert, il se rendit au comptoir pour payer son addition.
— Un petit saké, monsieur ? lui proposa gentiment l’employé.
— Non, merci.
L’alcool était bien une chose qui ne faisait pas partie de mes vices, si nombreux fussent-ils, pensa-t-il.
— Un petit biscuit chinois alors ?
— Ah, ça, je veux bien. J’ai hâte de voir ce que l’avenir me réserve…
Luc choisit un biscuit dans un plat sur le bar qu’on lui indiqua du doigt, puis le mit dans sa poche pour le manger une fois dans sa voiture. Il salua le personnel, remonta sa capuche sur la tête et sortit en courant jusqu’à son véhicule.
Une fois installé au volant, il ne démarra donc pas tout de suite et sortit le gâteau de son emballage. Il le cassa en deux et en tira un petit papier qu’il s’empressa de déplier et de lire. Il était fan des Fortune Cookies et surtout des présages ou maximes qu’ils renfermaient, depuis son plus jeune âge. Celui-ci indiquait : Mordre la main qui nourrit. L’origine de cette expression serait en effet chinoise et avait toute sa place dans ce genre de confiserie. Luc, lui, n’était pas friand de citations. Il jeta le papier dans sa boîte à gants, déçu que ça ne soit pas une prédiction, et engloutit les morceaux qu’il lui restait. Il mit le moteur en marche et regarda dans son rétroviseur avant de reculer pour sortir de sa place. Il y vit le pauvre chien mouillé, assis sous un arbre, l’air miséreux.
— Désolé mon vieux, murmura-t-il, ça ira peut-être mieux demain.
Il démarra et prit la direction de chez lui. Une bonne heure plus tard, il serait de retour à la maison, seul, mais motivé.